La guerre menée par Israël dans la bande de Gaza dépasse les 44 000 morts. Dans son dernier ouvrage « Une étrange défaite. Sur le consentement de l’écrasement à Gaza », l’anthropologue, sociologue et médecin Didier Fassin, professeur au Collège de France, à l’EHESS et à l’Institute for Advanced Study de Princeton, propose une analyse du traitement de ce conflit.

La guerre mobilise à la fois des troupes, des armes et des communications. Israël a développé et théorisé la hasbara, propagande visant à produire un discours officiel qui valorise les positions et les politiques nationales. Le problème est que les chancelleries et les médias occidentaux ont repris ce discours sans le mettre à l’épreuve des faits. On a ainsi parlé de « guerre Israël-Hamas ». Or, le président israélien affirmait que « la nation toute entière est responsable » et qu’il faut la « combattre jusqu’à lui briser l’échine » ; le Premier ministre en appelait à la figure biblique d’Amalek, le texte sacré disant qu’il faut « tuer les hommes et les femmes, les enfants et les nourrissons » de cet ennemi archétypique d’Israël ; le vice-président de la Knesset déclarait qu’il fallait « éliminer la bande de Gaza de la face de la Terre » ; et l’on pourrait multiplier les citations similaires de responsables politiques et militaires israéliens. Mais ce n’était pas que des mots. Ils ont été suivis d’actes, comme le bombardement des civils jusque là où l’armée leur disait de se réfugier, l’imposition d’un siège destiné à provoquer une situation de famine, et la destruction de toutes les ressources servant à maintenir en vie la population, à commencer par les hôpitaux.

C’est en fait toute la manière de raconter les événements survenus à partir du 7-Octobre qui a été prise dans une police du langage délimitant ce qui devait être dit et ce qui ne pouvait pas l’être. Dans les rédactions de nombre de grands médias occidentaux, des éléments de langage ont été imposés, comme certains journalistes me l’ont confirmé dans le cas français et comme des enquêtes conduites dans les grands quotidiens états-uniens l’ont établi. Au New York Times, on demandait aux journalistes de ne pas utiliser les mots « Palestine », « territoires occupés » et « camps de réfugiés », cette expression devant être remplacée par « quartiers ». Compte tenu des injonctions reçues de leur hiérarchie, les reporters de ce journal ont utilisé, respectivement, 22 fois et 53 fois plus souvent les mots « massacres » et « tueries » pour parler des attaques contre les Israéliens que de la guerre contre les habitants de Gaza.